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Résidence #35 
Centre D'Art Contemporain
Usine Utopik-2015

«Pourquoi je vis ? » C’est la question qui donne sens à tout l’engagement de Xuefeng Chen dans l’art. Entre l’art et la vie, entre le rêve et la réalité, le temps qui impose ses rituels et le moment présent, entre le terrestre et le divin, le monde des conventions et celui de l’imagination, on naît, on meurt et on renaît...

La vie oscille entre la naissance et la mort, deux pôles aussi indissociables que les faces de la lune, «deux lunes» dit l’artiste chinoise, symboles qui habitent son œuvre, l’une lumineuse pour le monde des apparences, l’autre obscure et mystérieuse. C’est dans cet équilibre qu’il faut trouver son chemin...

Née au sud ouest de la Chine, dans la province montagneuse du Yunnan, Xuefeng a vécu dans une grande liberté sous la protection de sa mère et de tout son village : elle a appris les pratiques artisanales ancestrales et célébré la nature sous toutes ses formes à travers les cultes magiques transmis par les chamanes et la tradition... Elle a joué avec tout ce qui vit, végétal ou animal, parfois avec la cruauté innocente et insouciante des enfants, comme elle l’exprime elle-même : «je ramassais les lucioles qui brillaient dans la nuit noire du village, je détachais les ailes et gardais dans les mains, comme des diamants, les minuscules corps lumineux». Déjà elle rêvait de tout ce qui se passait au-delà des montagnes : elle va répondre à sa curiosité et exploiter ses dispositions plastiques dans l’école des Beaux-Arts du Yunnan à Kunming, la capitale. Après son diplôme obtenu en 2000, son univers lui paraît soudain trop restreint et le dépaysement nécessaire : elle quitte la Chine pour l’Allemagne puis pour la France : elle obtient de nouveaux diplômes à l’Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg en 2006 et s’installe à Lyon en 2007, où elle vit actuellement. Après avoir participé à différentes expositions ou salons, elle est invitée à exposer ses sculptures et installations dans les années qui viennent, à Bruxelles et New-York. Un parcours relativement «classique» pour une artiste d’Extrême Orient venue s’installer en Occident... 

Mais Xuefeng, qui avait cru « tourner la page », est rattrapée en quelque sorte par un passé qui s’est incrusté de façon indélébile dans son inconscient, malgré toutes ses tentatives, assumées et réussies, pour se fondre dans ce nouveau monde. Elle comprend, tout en combinant, mixant ses pratiques « traditionnelles » et celles de l’art occidental d’aujourd’hui, en s’appropriant des matériaux et des concepts nouveaux, qu’elle ne peut pas, pour donner un sens à son avenir artistique renoncer à la question du « d’où je viens » : la magie de l’art opère comme celle du chaman, apportant des réponses par le détour, le symbole ou la métaphore. Il s’agit de retrouver, comme par le rêve, les sensations premières de l’enfant porté par sa mère, les liens tissés avec la nature, le soleil et les terres rouges du Yunnan, qui lui manquent autant que ceux qu’elle veut découvrir par le voyage. La broderie, parmi ses mediums, prend une place à part et l‘aiguille, plus qu’un pinceau, passe d’un côté de l’objet à l’autre en y glissant ses tropes. Ainsi se voit- elle comme une poupée blanche et pure voyageant dans un cercueil volant, couvert d’un tissu léger enrichi de broderies, pour mourir et renaître d’un monde à l’autre, suivant un calendrier préétabli...

Comme elle mettait autrefois les insectes ou les grenouilles qu’elle attrapait dans une boîte pour les faire griller ensuite, elle amoncelle dans une calebasse ou une bouteille dessinée ou sculptée mille objets-souvenirs, hétéroclites et colorés, chacun symbolisant un moment du passé. D’un objet ou d’un corps, elle ne garde que l’essentiel, souvent surdimensionné : la «mère», érigée en totem, telle une tige prenant ses racines dans le mystère de la terre pour venir s’épanouir en pleine lumière, porte fièrement son ventre fertile qui s’appuie sur des jambes solides comme des troncs et ses seins nombreux et généreux font disparaître sa tête. Un pénis, symbole de fécondation, ou d’autres membres semblent au contraire flotter librement sur la page comme doués de mouvement. Des bras démultipliés sortent d’un corps (celui de l’artiste elle-même), portant dans chaque main un objet symbolique tandis que des fils relient parfois de petits personnages ou objets informels, morceaux de rêve, bouts de sensations qui trouvent leur force expressive dans les contrastes et la dissonance. Une double démarche se fait jour : d’un côté l’artiste recherche une figure simple susceptible de contenir tout son univers (cercle, calebasse, caisse, voire utérus...), de l’autre elle veut libérer les corps en disloquant leurs formes jusqu’à les rendre évanescentes dans l’espace... C’est ainsi que, devenue maîtresse de ses techniques et de ses savoir-faire, elle se sent aujourd’hui libre dans le langage personnel qu’elle s’est construit, ayant su faire sortir de l’ombre ses démons, génies ou autres gourous, les apprivoisant et leur offrant les chemins de sa propre vie. Tout en se complaisant dans cet équilibre fragile des valeurs contrastées issues de ses origines ou acquises dans l’univers qu’elle a choisi, elle trouve dans la magie de l’art une harmonie propre à créer un monde qui lui ressemble.

Odile Crespy

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